C’est désormais un fait bien établi, le groupe Carrefour ne va pas bien. Après un été particulièrement calamiteux, le second groupe de distribution de la planète s’est vu contraint d’annoncer une perte de près de 250 millions d’euros au premier semestre. Le chiffre a étonné, mais tous les observateurs s’attendaient à une dégradation, tant le groupe français accumule, depuis trois ans, les difficultés. Les journaux économiques regorgent d’ailleurs d’explications : échecs de la stratégie de développement dans les pays émergents, mauvaise gestion des stocks, dissensions internes suite à la vente catastrophique de l’enseigne de hard discount Dia et d’une partie de la foncière Carrefour Property, échec des Carrefours « Planet », le projet du groupe censé regonfler le niveau des ventes, image d’un distributeur aux prix élevés, retard dans le segment « drive »…
Tout cela n’est pas faux. Cependant, ne met-on pas exagérément l’accent sur les seules causes endogènes ? La crise qui sévit en France et en Europe du Sud est parfois évoquée, mais comme si elle ne jouait qu’un rôle accessoire. L’effondrement des revenus des ménages en Espagne et en Italie, sans parler de la Grèce, est pourtant considérable.
Il est vrai que les autres groupes de distribution français ne semblent pas avoir de telles difficultés. Leur activité n’explose pas pour autant. Tous stagnent, à l’exception de Leclerc et d’Auchan, grâce à une politique de prix plus agressive, qui permet d’augmenter le chiffre d’affaires mais comprime les marges. Auchan annonce ainsi pour le premier semestre 2012 une progression du CA de 3% en même temps qu’une chute spectaculaire de plus de 30 % de son bénéfice net ! Il faut aussi noter que les concurrents de Carrefour sont moins internationalisés, et donc moins sensibles aux difficultés en Europe du sud.
Et si la grande distribution était au début d’une crise dont la poussée de fièvre de Carrefour ne serait que le premier symptôme ? Examinons un peu les arguments à l’appui de cette hypothèse…
Durant les trente dernières années, les groupes comme Carrefour – ou Walmart aux Etats-Unis – ont basé leur prospérité sur la vente en occident, avec des marges très importantes, de produits achetés un prix dérisoire aux producteurs des pays émergents. Voici un petit exemple personnel qui démontre bien la réalité de cette situation : en passant par ebay, je viens d’acheter directement en Chine un compteur optique pour vélo. Coût de mon achat port compris : moins de 4 €. Vous imaginez bien que la grande enseigne qui a acquis peut-être 100 ou 200 000 de ces appareils devrait les avoir obtenus à un prix beaucoup plus intéressant, n’est-ce pas ? Or, une fois sur les rayons des grandes surfaces, en France, ils coûtent huit euros ou plus. Ce simple exemple donne une idée des marges pratiquées.
Carrefour, Walmart et d’autres sont ainsi devenus les chevaux de Troie de l’industrie naissante des pays émergents. Mais les meilleures choses ont une fin et nous arrivons maintenant au terme d’un cycle. Les pays émergents ont récupéré à bon compte notre technologie et la puissance économique quitte l’occident pour s’installer chez eux. Durablement. L’industrie occidentale est en grande partie ruinée et avec elles les ressources de ces piliers de la société de consommation qu’auront été les ouvriers et les cadres bien payés des trente glorieuses. Ceux-là même qui ont permis à la grande distribution d’exister et de se développer. En France, l’économie poursuit son mouvement en glissant doucement sur son aire, mais le ralentissement est déjà spectaculaire. Les rentes de situation dont bénéficient encore les grandes enseignes risquent fort de s'épuiser rapidement..
Déjà, sous l’effet de la baisse du pouvoir d’achat, beaucoup de...
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